« Le 24 juillet 2015, notre petit-fils Medhi, 19 ans est mort victime des jeux dangereux initiés par des manipulateurs pervers infiltrés dans les forums de discussions des adolescents. Soyez vigilants ! Pour nous… c'est trop tard ! » Cet appel poignant s'accompagne d'un article de presse sur les dangers liés à Internet et les précautions à prendre pour les parents. Les grands-parents de Medhi ont affiché le document à l'épicerie de Belcaire (Aude), à la maison de la montagne et ont commencé à en diffuser de nombreux exemplaires sur tout ce canton du pays de Sault, près de Limoux. Bien évidemment, ils sont abattus mais ils veulent surtout tirer la sonnette d'alarme pour éviter que ce genre de drame ne se reproduise avec d'autres jeunes internautes. « Notre conviction, c'est que Medhi ne s'est pas suicidé à la suite d'une déception amoureuse, de mauvais résultats scolaires… Il était le garçon le plus heureux du monde. Il était venu passer cinq jours chez nous avant Noël. On a fait des balades en montagne, du ski à Camurac. Rien ne laissait présager qu'il allait mettre fin à ses jours. Mais seulement voilà, on a appris ensuite qu'il fréquentait un site de jeux vidéos et son forum de discussion. Je ne vois pas d'autre raison », affirme Moha Larbi. Le corps sans vie de Medhi a été découvert dans l'appartement où il vivait avec son frère et sa mère, le lundi 24 juillet vers 23 heures , à Decines-Charpieu, près de Lyon. Il s'est pendu dans la salle à manger. Sans laisser le moindre mot pour expliquer son geste. La mort est intervenue entre 20 heures et 23 heures, soit dans un battement de deux heures où il s'est retrouvé seul entre le départ de son frère aîné et l'arrivée de sa mère.
Les proches ont découvert dans l'ordinateur de Medhi trace de correspondances étranges avec d'autres internautes. Via un pseudo, il échangeait des messages depuis plus d'un an sur ce forum. A-t-il participé à un de ces pactes suicidaires qui se multiplient sur le Net ?
La famille souhaite maintenant faire toute la lumière sur les faits qui ont bien pu déclencher le suicide de Medhi. Elle envisage de déposer plainte. De son côté, la gendarmerie de Saint-Georges d'Orques est saisie de l'affaire. Les enquêteurs ont déjà auditionné les proches. Dans leurs investigations, ils vont également tenter de faire parler l'ordinateur de l'adolescent. Enfin, ils ne devraient pas non plus manquer de s'intéresser aux internautes qui ont dialogué avec Medhi ces dernières semaines.
« Medhi n'était pas un ado fracassé »
Après la mort de son petit-fils, Moha Larbi a décidé de partir en croisade contre les dangers d'Internet. Pour cet ancien directeur d'école à Espéraza, aujourd'hui retraité et passionné de montagne, le drame pose un vrai débat sur les manipulations et les incitations suicidaires qui se multiplient sur le Net. « Medhi n'était pas un ado fracassé. C'était un garçon particulièrement intelligent, qui suivait une scolarité normale en seconde. Durant les jours qu'il a passés chez nous à Belcaire, on a beaucoup parlé et tout allait vraiment très bien. Il était comme d'habitude. Il aimait le ski et le sport. C'est assez incroyable de se dire qu'un jeu allait le tuer. Il faut que tous les parents le sachent. »
Zoom. Pour les enfants, le danger Internet
Plusieurs affaires ont relancé ces derniers mois la polémique sur les dangers d'Internet, notamment auprès des plus jeunes. « Même si les logiciels de filtrage s'améliorent, rien ne remplacera la surveillance des parents », a averti Nadine Morano, secrétaire d'État à la famille. Actuellement, les sites de discussions (forums, blogs, chat) sont difficilement contrôlables. Des modérateurs y sont présents sur chacun d'entre eux, pour bannir les propos injurieux. Mais ils sont souvent dans l'impossibilité de surveiller toutes les discussions. Et ne peuvent intervenir sur les discussions privées. Ainsi, en septembre dernier, deux jeunes femmes d'une vingtaine d'années s'étaient rencontrées et avaient scellé leur « pacte » sur internet. Elles s'étaient suicidées à Toul. Le phénomène ne touche pas que la France : au Pays de Galles, sept jeunes se sont suicidés dans la même région, succombant à un culte suicidaire sur la toile. Aux États-Unis, une mère de famille, se faisant passer pour un garçon amoureux, avait acculé au suicide une ancienne amie de sa fille…
Un suicide commenté par les internautes
Le suicide de Medhi suscite de nombreuses réactions sur le site qui était fréquenté par la jeune victime. Certaines sont monstrueuses comme cette discussion qui est lancée sur le forum « Blabla 15-18 ans » et qui a pour sujet de lancement : « C'est moi qui ai poussé Medhi au suicide ». D'autres internautes sont allés jusqu'à diffuser l'avis de décès du jeune Medhi sur le Net.
Une question taraude aujourd'hui les enquêteurs : le suicide de Medhi est-il en rapport avec le « Noelisme », ce phénomène qui a investi en masse les forums de discussions sur internet ? Ce mouvement trouve son origine en 2006, lorsqu'une personne baptisée « Triplepatte » se met à ponctuer chacun de ses messages d'un petit logo, un « smiley » coiffé du bonnet du Père Noël. L'initiative plaît, et est reprise par d'autres jeunes ados, créant un effet boule-de-neige. Une communauté se crée de fait, établissant codes et règles.
Les « Noelistes » se retrouvent autour d'un certain nombre de chevaux de bataille. Un des leurs a même rédigé « un traité d'éthique », où il définit le Noelisme comme un antidote à « l'effet mouton que suit globalement notre société ». Dans le viseur des Noelistes : l'immense majorité des ados qui discutent sur internet, qui « parlent en langage SMS, racontent leur vie sur un skyblog à grands coups de ''kikoo'' ou de ''lol'', qui écoutent Tokio Hotel ou la même musique que tout le monde, dansent la tecktonik, s'habillent comme tout le monde »… Dans cette charte, il demande aux adeptes du Noelisme « d'avoir un minimum d'humour, avoir une orthographe correcte, et être motivé ». Leur but : faire parler de leur mouvement, et pirater les blogs et sites internet de ces ados qu'ils ont dans le viseur. Les Noelistes n'ont pas été épargnés par les dérapages : ils ont été accusés ces derniers mois de racisme, d'antisémitisme…